Maison de l'Algérie-Pont d'intelligence

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Club "Génération Entrepreneurs" en Algérie

dimanche 7 octobre 2012

Hayet Bouilef. Doctorante - Université Paris Dauphine, inspectrice centrale des impôts «La gestion de la fiscalité pétrolière est liée à la gouvernance des deniers publics»


-Dans son rapport sur la loi de règlement budgétaire pour 2009, la Cour des comptes a plaidé pour une meilleure maîtrise de la fiscalité pétrolière. Le débat a repris de plus belle ces derniers jours. Quel commentaire pouvez-vous en faire ?
Le système fiscal algérien est un système déclaratif, c’est-à-dire que chaque contribuable est tenu de faire la déclaration spontanée de son activité, de son chiffre d’affaires et du paiement de ses droits auprès des services fiscaux, exception faite pour les quelques impôts et taxes soumis au régime de la retenue à la source. Ainsi, l’administration fiscale reçoit les déclarations fiscales de Sonatrach en sa qualité de contribuable, tenu par la législation fiscale algérienne de s’acquitter de ses obligations fiscales. Néanmoins, le corollaire de chaque système déclaratif est le droit de contrôle que se réserve l’administration fiscale afin de vérifier la sincérité et la crédibilité des déclarations fiscales.
Cela devrait se traduire donc par un contrôle a posteriori des déclarations établies par les services financiers de Sonatrach, eu égard au poids prépondérant des ressources fiscales tirées à partir des activités pétrolières dans les ressources budgétaires. D’où le reproche fait par la Cour des comptes ayant trait aux manquements enregistrés en matière de contrôle de l’assiette fiscale et de la redevance pétrolières, apparaît donc sensé,  judicieux et alertant sur les conditions de gestion des deniers publics, puisque le rapport en question formule également des observations à l’institution douanière.
Toutefois, ce manquement n’est pas observé dans toutes les étapes du processus déclaratif de cette entreprise, puisqu’il convient de rappeler l’existence de plusieurs structures étatiques qui interviennent dans le procédé d’évaluation (la Banque centrale, les Douanes, Sonatrach à travers les deux agences d’hydrocarbures, notamment  Alnaft), avant l’intervention finale de l’administration fiscale. Le premier contrôle effectué est relatif aux quantités (des produits pétroliers et gaziers), relevant d’autres structures que la DGI, est entièrement maîtrisé, puisqu’il est soumis à un processus de vérification et de métrologie très technique et pointu. De ce fait, on ne peut conclure à un manquement en matière déclarative ou à une falsification sur les quantités énergétiques.
L’intervention de l’administration fiscale est a posteriori de tous ces contrôles, car elle porte sur une autre nature de contrôle qui est relative aux valeurs. A ce stade, son intervention permet soit la validation des valeurs et la teneur des déclarations fiscales, soit elle décèle des écarts en procédant aux régularisations qui s’imposent, généralement par des redressements (financier et non quantitatif) des situations fiscales initialement déclarées. Cette étape marque ce qu’on peut appeler la «gestion de la fiscalité pétrolière» au sein du système fiscal algérien. Cependant, le traitement de l’assiette fiscale est incontestablement effectué en l’état sur les données renseignées sur les déclarations souscrites par les services financiers de Sonatrach, puisqu’elles sont établies sur la base d’une assiette «quantitative».
Ces données sont donc supposées conformes aux différents contrôles en amont par des différentes institutions intervenantes citées supra, et qui sont habilitées à évaluer des données «quantitatives» ! Tandis que l’administration fiscale se contente du contrôle des «valeurs» y afférentes. Quant aux difficultés de recouvrement des droits et taxes fiscales et parafiscales, le problème reste entier eu égard au manque criant de moyens humains, notamment techniques et logistiques, voir juridiques (à ce propos, de multiples solutions sont envisagées dans mon livre à publier prochainement). Cette déficience est  problématique pour tous les services de perception et pour toute nature de produits, d’où le manque à gagner en matière de collecte des recettes, ainsi que l’encombrement des services de recouvrement par des cotes à recouvrer. Le rapport en question fait un état alarmant des conditions de fonctionnement des services fiscaux.
Une troisième étape relative à l’affectation des ressources fiscales mobilisées à partir de «la gestion de la fiscalité pétrolière» constitue, à mon sens, le cœur des faiblesses à soulever, ayant trait notamment à la «prolifération» des comptes d’affectation spéciale, de l’avis même de la Cour des comptes. Ainsi, lors cette phase d’affectation aux comptes «spéciaux» du Trésor, des produits réalisés à partir de la gestion de la fiscalité pétrolière, le rôle de l’administration fiscale est inachevé. Mais cette insuffisance ne peut être de nature technique ou opérationnelle. L’évolution de la gestion fiscale, notamment la gestion de la fiscalité pétrolière introduite suite à la réforme fiscale (1992) et l’édification de la DGE, demeure modeste.
Néanmoins, l’expérience et le savoir-faire capitalisés par les services fiscaux en matière de liquidation, de perception et d’affection des deniers publics démontrent la maîtrise suffisante de cet aspect technique par l’administration fiscale. Ainsi, le dysfonctionnement observé en matière d’affectation des sommes mobilisées, à partir de la fiscalité pétrolière et autres produits, est davantage de nature décisionnelle, au même titre que la gestion ainsi  que le contrôle du fonctionnement des comptes spéciaux du Trésor et les fonds publics.
-Y a-t-il, tout compte fait, un régime spécial appliqué à Sonatrach ? Est-ce légal ?
A ma connaissance, Sonatrach est une société de droit algérien et, par conséquent, en sa qualité de sujet de droit algérien, elle est donc soumise aux dispositions du droit fiscal algérien, qui est, rappelons-le, un droit souverain car l’Algérie dispose de sa totale souveraineté fiscale. Sonatrach bénéficie, par ailleurs, d’un régime fiscal spécifique envisagé en matière d’hydrocarbures et de toutes les mesures de la fiscalité dérogatoire envisagées et prévues par la loi algérienne, au même titre que tout contribuable exerçant dans les mêmes conditions ouvrant droit à ce régime spécifique dérogatoire. Néanmoins, il est judicieux de s’interroger sur l’efficience de ce dispositif dérogatoire.
Par ailleurs, à défaut de moyens humains, techniques et matériels, il est nécessaire que l’administration fiscale emprunte le processus progressif, proposé par le directeur général, dans l’exécution de son droit de contrôle, afin de réunir l’ensemble des déterminants de succès et préparer les mentalités au changement de procédés de gestion dans ce secteur des hydrocarbures, hérités depuis l’indépendance de l’Algérie ! D’ailleurs, le rapport ne manque pas à souligner avec force le manque avéré des moyens nécessaires au bon fonctionnement des services fiscaux, tributaire d’un fort niveau de mobilisation de ressources budgétaires. -
-Ne pensez-vous pas qu’en amont, il y a un vrai problème de coordination entre Alnaft, les Douanes et l’administration fiscale ?
Malheureusement, l’image de l’Algérie est marquée par l’absence de statistiques fiables et crédibles et par la carence dans la coordination et la collaboration de ses institutions et administrations, ce qui rend tout progrès hypothétique. Cependant, ce disfonctionnement ne relève pas à proprement parler des défaillances techniques, qui sont en partie un motif de cet obscurantisme dans l’affectation du produit de la fiscalité pétrolière, mais au manque de transparence dans la gestion et la gouvernance des deniers publics. Puisque l’affectation et l’emploi des ressources budgétaires (d’origine fiscale ou parafiscale) relèvent en premier chef d’une décision des autorités publiques et non d’un mécanisme technique fiscal !
-Quelles sont les carences susceptibles d’être solutionnées pour parvenir à une meilleure maîtrise de la fiscalité pétrolière ?
Remédier à ces lacunes exige en effet des réformes de natures multiples, diverses et complémentaires. Forcément, de nombreux économistes et chercheurs ont élaboré des solutions, des réflexions et des idées pouvant aboutir, si elles sont expérimentées ! Cette question à elle seule  nécessite un livre entier et de multiples débats dans la société algérienne, car elle est liée au modèle de gouvernance, à la transparence de la gestion et aux niveaux de compétences dans chacun des domaines interposés (activité minière, administration fiscale, démocratie participative et légitimité politique).
Par ailleurs, il convient de souligner que la DGI, à travers sa direction centrale (DGE), notamment le service du contrôle fiscal, procède de manière perpétuelle au contrôle fiscal et aux redressements des situations financières des sociétés exerçant dans le secteur énergétique, notamment celles partenaires de Sonatrach.
-Cependant, procède-t-on à un rapprochement et à la corrélation des résultats ainsi dégagés aux déclarations élaborées par Sonatrach ? L’administration fiscale repense t-elle un mécanisme d’optimisation du produit de la fiscalité pétrolière à partir de la régularisation des situations fiscales des partenaires de la Sonatrach ?
Parmi les mesures à proposer, on peut envisager un complément de formation des agents de Sonatrach, ceux de l’Alnaft et des Douanes aux mécanismes fiscaux, car il semblerait plus facile qu’initier les agents de la DGI aux formations d’ingénierie pétrolière ou de métrologie ! Il est également possible d’affecter de manière permanente des agents de l’administration fiscale dans les services fiscaux de Sonatrach, dans l’objectif d’assurer une parfaite collaboration et une confection optimale des déclarations fiscales.  
 
Ali Titouche
EL WATAN

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